Dernier hommage à Galabru

une sirene suis sorti majorBonjour à tous,

Galabru fut un acteur formidable dans la lignée des Carette, Raimu, Serrault ou Saturnin Fabre. Pour vivre, il porta à bout de bras d’abominables nanards, parfois en compagnie de Louis de Funès. Mais personne ne peut oublier son rôle dans « le juge et l’assassin ». Mais flamboya véritablement au théâtre..

Philippe Caubère lui rendit un bouleversant éloge funèbre que je vous livre tel quel.

On ne peut pas faire un discours sur la tombe d’un père, d’un frère ou d’un fils. Tu étais pour moi les trois à la fois : je ne parlerai pas sur ta tombe. D’ailleurs, je n’ai jamais su parler : c’était Raimu qui parlait pour moi. Ta grande et pathétique voix s’est tue et mon chagrin fait mon silence. »

Ces mots de Marcel Pagnol, je les ai prononcés plus de 210 fois, après que Michel, qui jouait Raimu, ait quitté la scène et disparu derrière le rideau noir qui en composait le fond, puisque c’est ainsi que, sur les conseils de Jean-Pierre Bernard, nous en jouions la mort. Jamais une fois je n’ai pu le faire sans penser au jour… d’aujourd’hui. Où j’aurais, peut-être à les citer, au moins à y penser, lorsque l’acteur, le vrai, le vivant, Galabru, aurait quitté la scène. Mais cette fois-ci, la vraie : celle de sa vie.

Emmanuelle, sa fille, m’a demandé de dire quelques mots sur lui. C’est un honneur, mais un souci. Comment ne pas répéter tout ce qu’on a déjà dit ? Sur l’homme, l’acteur, sa carrière, son génie. Peut-être en vous confiant ce sentiment que j’ai qu’avec lui, ce n’est pas seulement cet homme qui disparaît, exceptionnel, ni cet acteur hors du commun, mais un monde. Le monde des comédiens. Cela peut paraître une indélicatesse que d’affirmer ça devant vous qui, pour beaucoup, en êtes. Et pour certains très grands et grandes. D’autant que je ne partage pas cette idée que les grands acteurs populaires n’existeraient plus, ou les actrices. Au contraire. Il y en a ce matin, parmi vous, beaucoup. Non. C’est le monde qui a changé. Celui du théâtre en particulier. Peut-être aussi, mais dans une moindre mesure, celui du cinéma. Parce qu’il me semble qu’au cinéma, on aime encore les comédiens et que le jugement et le goût du public qui, eux, n’ont jamais varié, y font encore, heureusement, la loi. Mais dans un théâtre gouverné par les seuls metteurs-en-scène, mis en coupe réglée, dominé, séquestré par eux et à travers eux, par les hommes politiques dont ils sont les agents, les obligés, ce sont eux qui les nomment, les démettent, les favorisent ou les défavorisent- dans ce monde qui n’est plus celui du théâtre, mais celui de la Culture et de l’Éducation, l’acteur n’a plus sa place. Michel n’a jamais joué au Théâtre de la Colline, à Chaillot, à Nanterre, à l’Odéon, dans ces temples du théâtre contemporain. Il a joué dans de beaux théâtres, très beaux : à Mogador, au Théâtre Antoine, au Palais-Royal, à Hébertot, et bien d’autres, à Paris comme en tournée, mais dans les lieux du théâtre artistique et subventionné, depuis sa lointaine  jeunesse, jamais. Sauf une fois où, par la grâce et l’intelligence de Jérôme Savary, on l’y a invité et laissé faire. On s’en souvient encore : c’était La Femme du boulanger. Je ne peux pas oublier, ni taire aujourd’hui que j’avais écrit au tandem qui dirigeait alors le Festival d’Avignon que Michel, en secret, rêvait d’y retourner, avant de mourir. Il voulait y rejouer dans ce lieu où il avait partagé l’aventure de Jean Vilar, la Cour d’Honneur du Palais des Papes. Et je leur avais suggéré de consacrer deux heures, pas même : une heure et demie d’une nuit, pour y donner Jules & Marcel et y faire entendre les voix de Pagnol, de Raimu, de Galabru -et d’un quatrième !- au public d’Avignon. On ne m’a jamais répondu. Je ne le raconte pas par esprit de rancune -encore que…- mais pour essayer de dire à quel point je pense la dérive grave et l’art du théâtre aujourd’hui dévoyé. Comme je n’oublie pas non plus que, pendant quatre ans, il refusait contrats et tournées pour se tenir prêt à jouer avec Gérard Depardieu dans un film sur Clémenceau qui ne s’est jamais fait. C’est dans ce monde là que Galabru, tel Gulliver sur l’île de Lilliput, a joué, ramé, galéré, cachetonné. Et pourtant, finalement, triomphé.

Jean, Philippe, Emmanuelle, vous avez eu la chance d’avoir un père extraordinaire, on le savait. Et nous qui, par le théâtre, sommes devenus un peu ses enfants aussi, -je pense en particulier à Maxime Lombard, Bruno Raffaëlli, Clémence Massart, mes frères et sœurs du Théâtre du Soleil et de la Comédie Française, qui, grâce à  Savary encore, ont pu le fréquenter, l’accompagner, lui donner la réplique- je nous suggère, et à vous aussi qui l’avez connu, écouté, adoré, de travailler, œuvrer, lutter pour que perdure, renaisse, revienne le théâtre des comédiens. Celui de l’antiquité, du Moyen-Age, du 19 ème et du XX ème Siècle, de Sarah Bernhard et Mounet Sully jusqu’à Copeau, Dullin, Jouvet, Vilar. Et de Raimu à Galabru.

Il y a autre chose que je voudrais évoquer, dans cette salle où nous sommes aujourd’hui rassemblés et de cette scène d’où je vous parle et qui concerne Celui qui les anime, qui en est le cœur, le corps et l’esprit. Je n’ai pas le souvenir que Michel disait de Lui qu’il n’y croyait pas. Ou qu’Il n’existait pas. Mais plutôt ceci : « je ne sais pas s’il existe, mais s’il existe… » Et je vous jure que je ne cherche pas à blasphémer -quoiqu’en jurant, ce soit déjà fait ! « … Quel enf… !!! » Non, Monsieur le curé, je vous le jure aussi : Le traiter d’enfoiré n’était pas l’insulter. Mais, au contraire, Le reconnaître et peut-être, L’aimer. Il faudrait juste Lui signaler, si vous le pouvez, qu’il va bientôt recevoir la visite d’un drôle de paroissien qui a des comptes, avec lui, à régler. Et qu’Il devrait l’écouter. Peut-être que des choses iront moins mal après.

Et pour finir par le cinéma, parce que c’est lui qui, malgré tout et tout ce qu’on en a dit, à commencer par lui, aura le plus occupé ses pensées, je finirai par où j’ai commencé. Ces mots de Pagnol à Raimu que j’ai 210 fois prononcés :

« Par bonheur, il nous reste des films qui gardent ton reflet terrestre, le poids de ta démarche et l’orgue de ta voix… Ainsi tu es mort, mais tu n’as pas disparu. Tu vas jouer ce soir dans trente salles et des foules vont rire et pleurer ; tu exerces toujours ton art, tu continues à faire ton métier. Et je peux mesurer aujourd’hui la reconnaissance que nous devons à la lampe magique qui rallume les génies éteints, qui refait danser les danseuses mortes, et qui rend à notre tendresse le sourire des amis perdus. »

Salut, Michel !

Philippe Caubère

A la semaine prochaine

Donec

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